[COVID-19] Quel rôle pour la R&D dans la stratégie de sortie de crise des entreprises françaises ?

À la suite de la crise sanitaire du covid-19 qui s’est abattue sur le monde, c’est aujourd’hui une crise économique majeure à laquelle les sociétés industrielles vont devoir faire face. Gel total de l’activité ou mise en place du chômage partiel, les impacts se calculent déjà en centaines de milliards d’euros à l’échelle du pays.

Dans ce contexte inédit, les annonces de plans de relance de l’Etat se succèdent pour gérer l’urgence de l’emploi et la sauvegarde de l’activité économique de certaines filières comme l’automobile et l’aéronautique notamment. Mais qu’en sera-t-il de la stratégie long terme des entreprises ? Vont-elles subir la récession ou bien miser sur l’investissement ? La R&D sera-t-elle l’un des leviers privilégiés pour sortir de cette crise ?

L’état au secours de la R&D ?

Comme annoncé ces dernières semaines, l’Etat a engagé un certain nombre de mesures destinées à soutenir la recherche et l’innovation française.

Sur les thématiques sanitaires, l’Etat mobilise l’action « Projets de recherche et développement structurants pour la compétitivité » (PSPC) du Programme d’investissements d’avenir (PIA) dont l’objectif est de soutenir des projets collaboratifs ambitieux autour du traitement de l’épidémie actuelle de COVID-19, mais également des autres pandémies apparentées. L’Etat compte ainsi soutenir financièrement les travaux de recherche associant industriels et partenaires publics d’un montant compris entre 4 et 50 millions d’euros.

Pour le secteur automobile, l’Etat a débloqué une enveloppe de 150 millions d’euros de subventions. Une somme qui va permettre d’accompagner 27 projets innovants, sélectionnés par le nouveau comité d’orientation pour la recherche automobile et mobilité (Coram). Les batteries, l’hydrogène, l’électronique de puissance ou encore l’allègement des matériaux seront les sujets d’innovation phares de ce dispositif ; tous ces projets devront également contribuer à la décarbonation des véhicules. L’Etat estime que le montant total consacré à ces 27 projets pourrait atteindre le milliard d’euros, comptant sur des investissements privés à hauteur de 850 millions d’euros.

Les aides d’Etat sont toutefois ciblées, et visent principalement à répondre à l’urgence sanitaire du moment, ainsi qu’aux aspirations de la société d’une industrie davantage respectueuse de l’environnement, tout en venant en aide à des secteurs industriels clés particulièrement touchés afin d’éviter des faillites aux conséquences potentiellement désastreuses.

Mais qu’en est-il des autres secteurs ?

Face à cette crise, tous les secteurs ne sont pas égaux. Si certains, comme l’industrie pharmaceutique, l’agro-alimentaire ou encore l’information-communication ont été relativement épargnés dans la poursuite de leurs activités, le transport et l’industrie de manière générale ont été plus durement frappés. Les stratégies de relance ne seront donc pas les mêmes, et toutes ne bénéficient pas des mêmes contraintes et opportunités en termes de R&D.

Pour les sociétés de la healthtech par exemple, France Biotech a sorti une étude en mai dernier montrant les impacts de la crise sur les développements R&D du secteur :

  • 45% des entreprises ont fermé une partie ou l’ensemble de leurs activités, les activités de R&D étant en première ligne
  • 59% des entreprises ont arrêté ou diminué drastiquement leur recherche amont et préclinique,
  • 79% des entreprises réalisant des essais précliniques connaissent des retards importants ou des arrêts

Due à la spécificité de leur modèle économique, la grande majorité des entreprises de biotechnologies ne génère pas encore ou alors que très peu de chiffre d’affaires. Moins dépendantes de leurs ventes que les medtech, les biotech opèrent sur des horizons de temps plus longs et semblent être ainsi moins fortement impactées par l’arrêt d’activités que d’autres secteurs tertiaires.

Le secteur aéronautique, violemment impacté par un arrêt quasi-total du transport aérien, est contraint de tailler dans ses investissements de R&D. Safran a annoncé une baisse de 30% de ses dépenses de R&D et une réduction de 60% de ses investissements en 2020. Le groupe français compte réduire ses coûts opérationnels de plus de 20% (hors achats et y compris dépenses de R&D).

Pour les entreprises innovantes du numérique, Cap Digital dévoile les résultats de son baromètre « Start-up & PME face à la crise ». On y apprend que 29 % des sociétés rencontrent des difficultés pour recouvrir leurs créances clients, et près de la moitié envisagent de répondre à des appels à projets de R&D et d’innovation pour maintenir leur activité R&D.

Enfin plus généralement pour les PME, tous secteurs confondus, le baromètre trimestriel « Trésorerie Investissement Croissance des PME » de BPI France le Lab-Rexecode sorti en mai dernier dévoile que seul un tiers des entreprises qui avaient des projets d’investissement envisagent de les poursuivre. Dans le cas inverse, le report des projets est privilégié à 46%, mais dans 22% des cas l’annulation est incontournable du fait des contraintes de trésorerie ou en raison de l’insuffisance des débouchés attendus.

La R&D comme solution de sortie de crise ?

Dans cette crise, certains voient toutefois la R&D comme une opportunité pour rebondir. Ainsi, d’après Patrice Duboé, directeur des technologies et de l’innovation de Capgemini, certains clients ont déjà réorienté leurs projets pour anticiper « le monde d’après » : traçabilité de la chaine d’approvisionnement par la blockchain, électrification des véhicules, intelligence artificielle (IA) pour assurer la distanciation sociale. « En période de faste, la R&D peut se permettre de prendre des risques avec une faible probabilité de réussite. Pendant les 12 à 24 prochains mois, il lui faudra être sélective pour réussir. »

Les Instituts de recherche technologique (IRT) et les Instituts pour la transition énergétique (ITE), réunis dans l’association French Institutes of Technology (FIT) partagent également cette vision. La R&D est plus que jamais nécessaire aux entreprises pour se démarquer et survivre, mais celle-ci doit se réinventer et privilégier des projets d’innovation tourner vers l’environnement et la résilience.

Selon Vincent Marcatté, président de l’IRT B-com, « Cette reconquête d’un futur plus sobre et vertueux passera nécessairement aussi par les PME ». « Il y a un enjeu très important pour accompagner la R&D des entreprises dans les mois à venir, confirme Jean-Luc Beylat, président de l’Association française des pôles de compétitivité (AFPC). Nous sommes inquiets sur le soutien public de la recherche collaborative, qui se concentre de plus en plus vers les grands comptes et délaissent les PME ».

Dans une son étude sur l’impact de la crise sur les secteurs d’activité, « Covid-19 : la contagion sectorielle de l’économie réelle » paru en avril 2020, l’institut privé Xerfi estime que, comparativement aux autres branches des entreprises, la R&D devrait toutefois subir un impact limité. Cette conclusion semble indiquer que les entreprises françaises misent sur la recherche et l’innovation pour préparer l’avenir, et que malgré l’urgence économique à laquelle elles doivent faire face, une vision long terme doit être conservée pour préparer le « monde d’après ».