[COVID-19] L’avenir de l’innovation automobile redessiné par un investissement massif de l’état

La crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19 n’aura pas épargné l’industrie automobile : l’arrêt des usines et la fermeture des concessionnaires a été responsable d’une chute de 80% du marché du secteur en Europe.

Afin de relancer l’activité en France, le gouvernement a annoncé le 26 mai 2020 un plan d’action de 8 milliards d’euros pour la filière, dont 5 milliards d’euros de prêt à Renault, déjà en difficultés financières avant la crise.

La volonté affichée est double : d’une part préserver l’emploi en France en limitant la délocalisation, et d’autre part accentuer la transition de la R&D du secteur automobile vers les technologies vertes, dans la lignée des accords entre l’Union Européenne et les états membres visant à réduire de 37,5% les émissions de CO2 des véhicules d’ici à 2030[1]

Ainsi, ces aides comprennent d’une part des primes à l’achat et à la conversion vers les véhicules plus propres à hauteur de 1,4 milliards d’euros. Aussi, la prévision d’installation par l’Etat pour fin 2022 de 100 000 bornes de recharges sera avancée à fin 2021 (pour environ 30 000 à fin 2019), et une enveloppe de 600 millions d’euros aidera à la modernisation des sous-traitants vers les technologies clés de l’automobile du futur, connectée et décarbonée. Un fond d’investissement, financé à hauteur de 600 millions d’euros par l’Etat et 100 millions chacun par les constructeurs Renault et PSA, ainsi qu’une enveloppe consacrée aux projets de R&D innovants viendront compléter ces efforts de soutien à la filière. Afin de limiter l’impact sur les emplois, des plans de développement des compétences seront également lancés pour financer la formation des salariés des entreprises les plus touchées.

Ce plan n’intervient cependant pas sans conditions. En contrepartie de cet investissement massif de l’Etat, les constructeurs français se sont donc engagés à garder ou relocaliser leurs activités de recherche de pointe et de production de véhicules électriques sur le sol français, ainsi qu’à produire plus d’un million d’unités d’ici 5 ans, augmentant la part de véhicules électriques de 2 à 45% de la production totale[2]. Une restructuration de la R&D de l’industrie automobile sur le sol français va donc avoir lieu afin de la recentrer sur les technologies propres, l’un des secteurs moteurs de l’innovation en France et à l’international. Ainsi, Renault rejoint Total et PSA dans l’Alliance pour les batteries, et installera la production de son moteur électrique 100 kW de l’Alliance, initialement prévue en Chine, dans son usine de Cléon. PSA relocalisera également la production du SUV 3008 électrique en France, et s’engage à produire 130 000 véhicules électriques ou hybrides en France. Les équipementiers, quant à eux, continueront d’investir, avec le soutien de l’Etat, dans les technologies vertes telles que le moteur 48 volts ou la pile à hydrogène.

Malgré ces engagements, Renault a annoncé dans le cadre de son plan d’économies de 2 milliards d’euro la suppression de 4 600 emplois (pour moitié cadres ou ingénieurs) sans départs forcés en France, ainsi qu’une délocalisation des activités de recherche à « faible valeur ajoutée », comprendre hors moteur électrique et connectivité, dans les pays à bas coûts[3].

Les investissements dans l’électrification de l’automobile avaient déjà permis aux équipementiers du secteur automobile de tirer leur épingle du jeu par rapport aux constructeurs dans un contexte économique en berne ces dernières années[4]. Ils s’inscrivent également dans une tendance à l’électrification des véhicules observée en Europe[5]. En Norvège, par exemple, les véhicules électriques représentent 2/3 de part de marché au premier trimestre 2020, avec un objectif du gouvernement à 100% pour 2025, rendu réalisable en partie par des taxes importantes sur les énergies fossiles. Si l’Allemagne et la France sont encore loin derrière ces performances, elles ont tout de même vu leurs ventes augmenter de 63 et 145% respectivement début 2020. L’objectif du gouvernement allemand visant l’installation d’un million de bornes de recharges à l’horizon 2030 vient notamment d’être conforté par une obligation pour toutes les stations-service d’être équipées d’au moins une borne dans le cadre de leur plan de relance post-COVID[6].

Cet enthousiasme du marché pour les véhicules électriques, soutenu par les aides d’Etat, est donc une opportunité pour les constructeurs français de s’imposer parmi les leaders du secteur, suivant l’exemple de Renault et du succès incontesté en Europe de la Zoé électrique (44% des ventes de véhicules électriques en 2019 en France). De cette crise émerge donc une opportunité d’accélérer l’innovation en France comme en Europe pour permettre d’atteindre les objectifs des accords de Paris visant la neutralité carbone d’ici à 2100.


[1] Bloch, R et Grésillon, G. (2018, 18 décembre). Automobile : L’Union européenne s’accorde sur une forte baisse des émissions de CO2. Les Echos. Consulté sur : https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/pollution-automobile-lue-saccorde-sur-une-baisse-drastique-239757

[2] En considérant un nombre de véhicules produits par année constant. En 2019, 2,2 millions de véhicules ont été produits, dont 43 000 électriques.

[3] Feitz, A. (2020, 28 mai). Renault confirme qu’il va supprimer 15.000 emplois dans le monde. Les Echos. Consulté sur : https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/renault-va-supprimer-15000-emplois-dans-le-monde-1206656

[4] Feitz, A. (2020, 24 février). Automobile : les équipementiers tricolores résistent à la crise grâce à l’innovation. Les Echos. Consulté sur : https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/automobile-les-equipementiers-tricolores-resistent-a-la-crise-grace-a-linnovation-1174163

[5] Bekker, H. (2020, 12 mai). 2020 (Q1) Europe: Electric and Plug-In Hybrid Car Sales per EU, UK and EFTA Country. Car Sales Statistics. Consulté sur : https://www.best-selling-cars.com/electric/latest-europe-electric-and-plug-in-hybrid-car-sales-per-eu-and-efta-country/

[6] Nedelea, A. (2020, 5 juin). All Gas Stations In Germany Will Be Required To Have EV Chargers. Insideevs. Consulté sur : https://insideevs.com/news/427227/germany-gas-stations-charging-stations/