[CIR] Enquête sur l’utilisation des aides publiques au Sénat : le CIR dans la tourmente

Cette enquête, lancée à l’initiative du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est caractérisée par l’audition de nombreux directeurs généraux et responsables de grands groupes, tels que Sanofi, Air Liquide ou encore BlackRock. La commission est présidée par Olivier Rietmann, sénateur de la Haute-Saône, membre de la commission des affaires économiques et du groupe Les Républicains. Il est accompagné du rapporteur Fabien Gay, Sénateur de la Seine Saint-Denis, Vice-Président de la commission des affaires économiques et membre du groupe Communiste.

Dans un contexte de crise des finances publiques, l’objectif de l’enquête sénatoriale est triple :

  • établir le coût réel des aides publiques octroyées aux grandes entreprises – celles employant plus de 1000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires net mondial d’au moins 450 millions d’euros par an,
  • vérifier si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, et
  • explorer des contreparties possibles aux aides accordées, notamment en matière de maintien de l’emploi, face à des entreprises bénéficiaires qui procèdent à des fermetures de sites et délocalisations.

Les aides publiques : absence de consensus sur les montants

Avec plus de 2200 dispositifs relevant de l’Etat, des collectivités territoriales ou encore de l’Union européenne, les aides publiques françaises et la question de leur coût et impact sont le sujet central de cette commission. Ce que cherchent à identifier le rapporteur Fabien Gay et le Président Olivier Rietmann, c’est tout d’abord le montant des aides.

En effet, la somme des fonds engagés pour soutenir les grandes entreprises diffère selon les experts interrogés : alors que certains observateurs évoquent le chiffre de 250 milliards, pour l’IFRAP et sa directrice Agnès Verdier-Molinié, le montant des aides s’élèverait plutôt à 45 milliards, voire 70 milliards selon l’Insee, un chiffre que confirment les travaux d’analyses réalisés par Nicolas Bouzou, essayiste et Président d’Astérès. Comme le souligne le rapporteur Fabien Gay, ces différences s’expliquent par la différence de périmètre que ces organismes appliquent, les premiers tenant compte de l’ensemble des aides, y compris celles versées à l’ADEME, les seconds rétrécissant leur fenêtre de calcul aux aides d’Etat seulement. Le chiffre de 170 milliards d’euros, qui comprend les aides directes et les exonérations de cotisation semble faire consensus au sein de l’administration.

L’absence de centralisation des données, telle que soulignée par les experts de la Direction générale du Trésor interrogés, complique toute analyse globale et explique le manque de « tableau de bord » et le suivi disparate des aides.

L’efficacité des aides publiques : le CIR au cœur des débats 

L’enquête met en lumière une faille majeure : l’évaluation de l’efficacité des aides publiques reste insuffisante. Si l’Inspection Générale des Finances (IGF) et la Cour des comptes produisent certaines estimations, l’absence de critères précis et d’objectifs clairement définis pour chaque dispositif et type de bénéficiaire empêche toute analyse rigoureuse et concluante.

Parmi les aides les plus scrutées figure le Crédit d’Impôt Recherche (CIR), dispositif bénéficiant pour 40% aux grandes entreprises. Bien que son objectif soit de stimuler l’investissement en R&D, plusieurs critiques émergent quant à son contrôle et son efficacité réelle.

A l’origine de cette défiance, le cas de certaines entreprises, dont certaines interrogées dans le cadre de la commission d’enquête. Il leur est notamment reproché des plans sociaux tout en bénéficiant de millions d’euros de CIR. Une politique d’entreprise considérée comme inacceptable pour certains au vu des fonds publics considérables dont elle bénéficie.

Selon les experts auditionnés, les propositions de suppression d’une partie des aides publiques de certains membres de la commission d’enquête ne peuvent être une solution envisageable. Ils estiment que le système fiscal français est l’un des plus lourds d’Europe, talonnant la Suède et devançant l’Allemagne, avec des prélèvements obligatoires sur les sociétés non financières (nets des aides reçues) qui représentent 10,5% du PIB en 2023. Les aides telles que le CIR viennent selon eux rééquilibrer un système dysfonctionnel et trop gourmand. Par ailleurs, le personnel de la Direction générale du Trésor interrogé souligne l’effet multiplicateur du CIR, notamment pour les TPE et PME.

Vers une réforme des aides publiques ?

Si l’enquête met en évidence un besoin de transparence et de rationalisation, elle souligne aussi l’absence de consensus sur les réformes à mener. Entre réduction des dispositifs d’aide, conditionnalité accrue et réforme du système fiscal, le débat sur l’utilisation des deniers publics est loin d’être tranché.

La Cour des comptes pourrait jouer un rôle crucial dans la prise de décision. Lors de la Commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements, présidée par l’Assemblée nationale, Mme Carine Camby, présidente de la 1re chambre de la Cour des comptes, a annoncé le lancement imminent d’une étude sur plusieurs dispositifs fiscaux. Concernant le Crédit d’Impôt Recherche (CIR), cette étude sera menée conjointement avec une autre chambre, et les résultats sont attendus pour début 2026. L’analyse portera notamment sur les effets en matière d’emplois et sur le rapport entre le coût budgétaire et les résultats obtenus. Mme Camby a souligné que « l’évaluation de ces aides révèle une insuffisance globale des analyses menées par les administrations. Trop souvent, les résultats attendus par rapport aux montants engagés par le contribuable ne sont ni clairement définis, ni effectivement mesurés« . Ces travaux pourraient bien être le prélude à une refonte majeure des aides publiques, visant à garantir une utilisation plus transparente et efficace des deniers publics.