Réflexions autour du « redéploiement du CIR en faveur des plus petites entreprises » par Xavier JARAVEL devant le Sénat

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Professeur d’économie à la London School of Economics and Political Science et au Collège de France, Xavier JARAVEL est intervenu le 1e février 2022 au Sénat dans le cadre de la mission excellence de la recherche/innovation, afin d’exposer ses constats sur l’écosystème de l’innovation en France et sur l’influence de l’exposition à celle-ci comme déterminant majeur de l’innovation.

Chaque année, le Crédit Impôt Recherche (CIR) représente près de 7 milliards d’euros sur les 10 milliards d’euros des dépenses d’innovation. Cependant, plusieurs études récentes (de la CNEPI et de l’Assemblée Nationale) suggèrent que cette dépense très élevée a une efficacité faible, notamment pour les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire.

Aussi, Xavier JARAVEL évoque le redéploiement de l’enveloppe du CIR au bénéfice des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) afin d’accroître l’efficacité de la dépense. M.Jaravel affirme que le Conseil d’Analyse Economique travaille sur des simulations concernant une telle mesure.

Une réforme a minima pourrait consister selon lui à supprimer le crédit d’impôt de 5 % au-delà de 100 millions d’euros, ce qui permettrait d’économiser 750 millions d’euros, puisque 10 % du montant total du CIR concerne cette tranche à 5 %. Il estime que financer les premiers millions d’euros de dépenses n’a pas de réel impact pour les grands groupes car ces dépenses auraient lieu quoi qu’il arrive, et qu’une tranche à 5% n’a pas d’effet incitatif.

D’autre part, il soutient que le CIR dans son état actuel se justifie moins que par le passé, dans la mesure où il aurait été créé pour compenser un système fiscal français plus punitif qu’à l’étranger. Or le taux d’imposition français tend à se rapprocher de celui de pays de l’OCDE.

Il avance trois arguments qui pourraient s’opposer à une diminution du seuil du CIR :

  • L’instabilité fiscale, qui pour lui n’est pas significative, le CIR n’ayant pas, toujours d’après lui, évolué depuis 12 ans ;
  • Le signal défavorable envoyé pour le soutien à l’innovation : M.Jaravel penchant au contraire pour une efficacité accrue grâce à une telle mesure, puisque les grands groupes seraient moins subventionnés ;
  • Le risque juridique concernant la validation par la Commission européenne des aides d’Etat, mais ce redimensionnement du CIR ne devrait pas poser de problème pour Bruxelles.

Sur le plan macroéconomique de l’efficacité de l’innovation, le chercheur établit cinq constats qui pourraient faire l’objet de réformes :

  1. Les grands postes de dépenses contribuant à la capacité d’innovation en France (financement de l’enseignement supérieur ou encore de l’éducation) sont moins dynamiques que d’autres postes de dépenses comme celles sociales ;
  2. L’évolution du cadre fiscal est également à étudier, bien que ce point soit moins important que celui du décrochage scolaire ;
  3. Concernant le débat sur la réindustrialisation et l’industrie comme cœur de l’innovation, il avance que de nombreux chiffres prouvent que des innovations sont créées dans les services. 75 % de la croissance de la valeur ajoutée industrielle entre 2005 et 2017 provient du développement des services à caractère industriel et de nombreux acteurs industriels utilisent les services comme leviers de croissance ;
  4. L’enjeu de la taille du marché, avec la simplification de l’accès au marché européen pour les petites entreprises pour réaliser des économies d’échelle ;
  5. La gouvernance de l’investissement public doit jouer un rôle plus fort pour la coordination et l’évaluation des dispositifs d’incitation et de financement.

De plus, plusieurs facteurs conditionnent le développement de l’innovation en France :

  • A performances égales, la probabilité de devenir innovateur est sept fois plus élevée pour les enfants dont les parents se situent parmi les 10% les plus élevés de la distribution des revenus, par rapport à ceux dont les parents se situent sous la médiane des revenus
  • Le territoire d’origine influe également sur la probabilité d’être à l’origine d’une innovation
  • Selon les parcours individuels, les types d’innovations sont amenés à varier

Une étude portant sur tous les pays du monde montre qu’entre les années 1960 et 2000, la moitié des différences de croissance entre pays s’explique par les différences de niveaux en mathématiques et en sciences. M.Jaravel pense que cette propension augmentera encore avec la transition énergétique et la révolution numérique.

Également, la France se situe au niveau des États-Unis en ce qui concerne les inégalités intergénérationnelles et la reproduction sociale. Il s’agirait plutôt selon cet expert d’affirmer une politique d’innovation par tous et pour tous, passant notamment par l’éducation et l’orientation vers des métiers d’avenir.

Il existe pour lui un enjeu macroéconomique concernant la mobilisation de tous les talents, avec l’importance du ciblage le plus tôt possible des publics ayant sensibilisation moindre et de l’influence des role models. Cet enjeu est particulièrement important face au constat de baisse du nombre de doctorants depuis 2009 et ne concerne pas seulement les inégalités, mais également la souveraineté via la capacité d’innovation.

En combinant ces différents leviers, l’augmentation potentielle de la croissance économique s’élève à 0,20 point à l’horizon 2030, soit cinq milliards d’euros supplémentaires chaque année à partir de cette date, moyennant quelques centaines de millions d’euros par an.