[Jurisprudence CIR] Eligibilité des dépenses d’amortissement de brevet

La CAA de Versailles invalide la prise en compte de la totalité des dépenses d’amortissement de brevets dans l’assiette du CIR, au motif de l’absence de justification précise quant à leur utilisation en R&D.

Les faits

Dans cette affaire, la société Thifan Industrie, spécialisée dans la conception, la fabrication et la vente de munitions à destination du secteur de la chasse, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité, à l’issue de laquelle elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, résultant de la remise en cause du CIR incluant les dotations aux amortissements de dix brevets.

Par un jugement n° 1803399 du 3 mai 2021, le TA d’Orléans a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. La société requérante a fait appel de ce jugement.

En l’espèce, la société soutient que les brevets acquis, ayant été utilisés pour des opérations de recherche, doivent être considérés comme des dépenses de recherche éligibles au CIR dans leur intégralité.

Le jugement de la Cour

La Cour démontre que les brevets ont fait l’objet d’une utilisation mixte, à la fois pour la production et la recherche. Elle en conclut que les dotations aux amortissements ne peuvent être prises en compte en totalité pour le CIR.

La société requérante conteste la méthode de proratisation fondée sur le temps effectif d’utilisation des brevets à laquelle l’administration fiscale a eu recours afin d’évaluer la part de dotation aux amortissements des brevets liés à la R&D :

  • Pour évaluer la part de dotations aux amortissements des brevets liés à la R&D, la société propose de « déduire la part d’implication des brevets pour la recherche et le développement par soustraction de la part d’implication des brevets pour la production ».

En réponse, la Cour juge qu’« il n’est pas démontré qu’un brevet non utilisé à des fins de production est nécessairement impliqué dans la réalisation d’un projet de recherche » (considérant 9).

  • La société demande à retenir un taux de 69,18%, qui serait le taux admis par l’administration fiscale.

La Cour indique que, si l’administration a effectivement « soutenu en première instance que le taux d’emploi à des fins de recherche ne saurait excéder 69,18% », elle n’a pas pour autant affirmé que ce taux est « pertinent ». La société ne peut donc demander que ce taux lui soit appliqué (considérant 10).

  • La société propose une méthode consistant à « adopter, pour les brevets, les mêmes proratas que ceux déterminant les temps respectifs consacrés par ses personnels pour leurs travaux de recherche par rapport à leurs activités de production ». 

En réponse, la Cour indique qu’« il n’existe aucune corrélation entre la proportion de temps consacré par le personnel aux activités de recherche et la proportion de temps effectif d’utilisation des brevets pour la recherche », avant d’ajouter qu’ « il n’est pas établi que tous les projets considérés comme éligibles au crédit impôt recherche auraient nécessité l’exploitation desdits brevets », les états de l’art des projets éligibles ne mentionnant pas lesdits brevets (considérant 11).

  • Enfin, la Cour juge qu’il est impossible d’établir « une proratisation par temps dédié, ou en distinguant selon que tel ou tel brevet est affecté à la recherche ou à la production », en l’absence d’éléments permettant de déterminer le prix individuel de chaque brevet et le temps d’utilisation de chacun des brevets à des fins de recherche (considérant 12).

Elle en conclut que les dotations aux amortissements afférentes à ces brevets ne pouvaient ouvrir droit au bénéfice du CIR.

Analyse

En définitive, la valorisation d’un brevet au titre du CIR peut s’avérer complexe.

Une attention particulière doit donc être apportée aux justificatifs et méthodes de calculs permettant de prouver que les dépenses correspondent bien à l’utilisation des brevets acquis à fins de recherches et de démontrer l’utilisation d’un taux pertinent en cas d’utilisation mixte de l’immobilisation entre recherche et activité non R&D.

Source : CAA de Versailles, 11 avril 2023, Thifan Industrie, 21VE01948 et 21VE01974