[Jurisprudence CIR] Facteurs d’inéligibilité d’un projet au CIR

La CAA de Versailles rappelle les facteurs d’inéligibilité d’un projet au CIR. Ce qui est l’occasion de revenir sur les éléments à mettre en avant pour la valorisation d’un projet.

Les faits

Dans cette affaire, la société Aubay, prestataire de services dans le domaine du numérique, conteste le rejet par l’administration fiscale de tout ou partie du bénéficie du CIR dont elle a bénéficié.

La non-éligibilité de projets ou la prise en compte de certains d’entre eux, pourtant classés comme projets de R&D lors de l’expertise, à un pro rata fixé par l’expert intervenu durant le contrôle est contesté par la société.

La société fait appel du jugement du TA de Cergy-Pontoise qui a confirmé la position de l’administration en première instance.

Le jugement de la Cour

Pour rappel, la doctrine fiscale (BOI-BIC-RICI-10-10-20-20 §170) réfute toute détermination forfaitaire des temps de recherche. Sur ce point précis, les juges affirment « qu’en ne retenant, pour certains des projets, qu’un pourcentage du montant des dépenses exposées, l’administration n’a pas forfaitisé la prise en compte de ces dépenses, mais elle l’a proratisée à hauteur de l’éligibilité du projet. Les dispositions […] de l’article 244 quater B du CGI, selon lesquelles seules les dépenses de recherche ouvrent droit au crédit d’impôt, n’interdisent pas une telle proratisation, dès lors qu’un projet comprend des opérations relevant de la R&D et des opérations n’en relevant pas » (considérant 5). La Cour procède ensuite à l’examen des projets contestés afin d’en évaluer l’éligibilité.

De cet examen, il ressort que ne sont pas éligibles :

  • Les travaux visant à déterminer quels sont les cas d’usage de logiciels libres ainsi que leur adaptation pour une offre commerciale et qui, comportant une partie de refonte de génération du code, ne comportent pas de difficultés particulières (considérant 9).
  • Les travaux ayant pour finalité de parfaire la régularité d’un processus de production.

En l’espèce, les objectifs étaient de déterminer des socles de paramétrage, réduire les canaux de communication en déterminant les interfaces qui les mutualisent et tracer tous les échanges. La Cour juge qu’il ne s’agit pas d’« objectifs de recherche ». De plus, la société avait procédé en interconnectant des briques disponibles, sans apport de techniques nouvelles et en utilisant une technique en déclin, ce que la Cour considère comme allant « à l’encontre d’une démarche de recherche » (considérant 10).

  • Les projets ne comportant pas d’« incertitudes scientifiques et technologiques susceptibles d’être levées par de la recherche ».

En l’espèce, il s’agissait de projets ayant pour objet de concevoir des interfaces homme-machine accessibles puis d’améliorer un framework afin de les générer automatiquement.

Par ailleurs, la Cour précise que les travaux portant sur la prise en compte de l’hétérogénéité des clients légers, la gestion de sessions dans un framework et la prise en compte du référentiel bancaire pour les interfaces homme-machine « ne constituent pas des sujets de recherche ». Elle ajoute que la décompilation et la recompilation d’un logiciel ne constitue pas davantage « une technique innovante » (considérant 11).

  • Les problèmes de communication entre portlets de logiciels relevant des choix techniques opérés par la société et ne présentant pas de caractère original (considérant 12).
  • Les travaux pour lesquels la société n’a pas apporté d’éléments de nature à démontrer qu’ils constituaient une technique innovante (considérant 14).
  • Les travaux d’amélioration d’un produit, consistant principalement en l’intégration nouvelles briques logicielles existantes.

En l’espèce, la Cour a jugé que le fait que « la société Aubay aurait remporté le prix Oseo et un Lutèce d’or pour ce projet ne suffit pas » pour remettre en cause l’éligibilité partielle (40%) qui avait été reconnue par l’administration fiscale (considérant 15).

Dans cet arrêt, la Cour rappelle également que l’évaluation de l’éligibilité d’un projet ne se fonde pas exclusivement sur l’état de l’art produit par la société, mais également sur les caractéristiques du projet. Ainsi la finalité et les objectifs du projet rentrent-ils autant en compte que la situation de l’état de l’art existant.

Analyse

L’analyse des juges portant sur l’évaluation forfaitaire est intéressante, car elle ne s’interroge pas sur les fondements qui ont conduit l’expert à appliquer certains ratios d’éligibilité plutôt que d’autres, elle se contente de justifier la possibilité de proposer des pro-rata. Notons enfin que la société n’a pas assez contre-argumenté les ratios proposés, se contentant de préciser que les travaux étaient nouveaux à l’époque ou faisaient face à une insuffisance de l’état de l’art.

En définitive, il faut retenir quatre éléments de cet arrêt :

  • Les critères d’éligibilité doivent être interprétés en prenant en compte les conditions techniques pour lesquelles l’état de l’art ne fournit pas une solution immédiate pour surmonter les obstacles. Une attention particulière doit être portée sur les projets reliant entre elles des briques technologiques existantes : il convient de bien démontrer que leur implémentation et interconnexion présente des difficultés qui vont au-delà de la simple adaptation.
  • Même si l’objectif ultime est d’améliorer un produit, il est nécessaire de traduire ces objectifs en problématiques techniques spécifiques, ce qui a manqué ici pour défendre l’éligibilité de certains projets.
  • La présence d’indicateurs liés à la R&D est favorable, mais ne garantit pas automatiquement l’éligibilité au CIR. Les critères spécifiques d’éligibilité doivent être respectés et démontrés avec des preuves concrètes.
  • Une attention particulière doit être accordée à la justification de l’utilisation de techniques n’étant pas les plus à la pointe. Il faut être en mesure de démontrer la difficulté qui en découle et la manière dont elles s’intègrent dans la démarche de recherche.

Source : CAA de Versailles, 09 mai 2023, Aubay, 21VE01950