[Jurisprudence CIR] Un nouvel arrêt de la CAA de Paris confirme la tendance à une appréciation de plus en plus stricte de la justification des temps de R&D 

Dans un arrêt du 13 décembre 2023, SA Cellectis, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris écarte des dépenses de personnel au motif que le système de suivi des temps appliqué par la société n’était pas suffisant au regard des exigences de la loi fiscale en matière de justification de la réalité des temps affectés à des tâches de R&D. Ce faisant, elle s’inscrit dans la tendance jurisprudentielle qui a marqué l’année 2023.

Les faits

Dans cette affaire, l’administration demande à la CAA de Paris d’annuler le jugement qui, en première instance, avait restitué à la société une partie du CIR remis en cause pendant le contrôle fiscal.

L’administration soutient que les dépenses de personnel en litige, en particulier celles liées au PDG et au directeur technique, ne sont pas suffisamment justifiées pour être considérées comme des dépenses affectées à des travaux de R&D, et doivent donc être écartées.

Le jugement de la Cour

En l’espèce, la société avait mis en place un système de suivi des temps selon lequel les chercheurs remplissaient quotidiennement un tableau intitulé  » Time-sheet  » afin de rattacher les dépenses effectuées à un projet déterminé.

Le PDG, le vice-président et directeur opérationnel et le directeur technique développement étaient dispensés de ce pointage et établissaient un tableau individuel annuellement pour déterminer le pourcentage de temps passé pour des tâches codifiées par la société et qualifiées de R&D. Leurs activités au sein de la société, et donc les temps de travail, avaient été répartis en quatre catégories  » Admin « ,  » Research et Innovation « ,  » I/O RetD « ,  » Other RetD  » dont seule la première a été considérée par la société comme ne relevant pas d’opérations de R&D.

La Cour juge que les tableaux de suivi des temps fournis par la société comportent plusieurs incohérences ou approximations sur le nombre d’heures consacrées par le PDG et le directeur technique développement de la société à des travaux de R&D.

La société a également fourni le détail de leurs agendas électroniques. Ceux-ci ne comportaient pas de détail sur la nature des missions ou des tâches effectuées. La Cour a par ailleurs estimé que certains intitulés étaient également trop généraux, et souvent relatifs à des réunions, appels téléphoniques ou RDV.

Elle juge donc que les documents produits ne permettent pas de justifier la réalité du temps consacré par ces deux personnes à l’activité de R&D, d’autant plus qu’elles sont chargées d’autres fonctions au sein de la société.

Par suite, elle juge que les dépenses doivent être rejetées conformément à ce que demande l’administration.  

Analyse

Cet arrêt illustre la tendance marquée au redoublement d’exigence de l’administration et des juges en matière de justification des temps de R&D.

Il ressort, en effet, des récents arrêts que les juges adoptent une position particulièrement critique au sujet des systèmes de suivi des temps.

À titre d’exemple, en novembre 2023, la CAA de Nantes avait écarté des tableaux d’horaires de travail mentionnant forfaitairement le temps passé à de la R&D, sans détail tâche par tâche, et partant, avait jugé qu’une détermination forfaitaire des temps était insuffisante au regard de la loi fiscale alors que l’administration elle-même applique cette méthode (CAA de Nantes, 28 novembre 2023, SARL Sedisor, 22NT02905).

Dans ce contexte, le système de suivi des temps appliqué doit permettre de démontrer un lien de causalité direct entre les dépenses de personnel valorisées et les opérations de R&D, avec un niveau de détail adéquat aux attentes de précision de l’administration.

Il peut ainsi être possible de justifier le temps R&D pris en compte via un extrait d’agenda suffisamment parlant ou une fiche de poste. Par ailleurs, une timesheet remplie une fois par mois, voire par semaine, plutôt qu’une fois par an comme dans le cas d’espèce peut être plus facilement justifiable auprès de l’administration.

Source : CAA de PARIS, 13 décembre 2023, SA Cellectis, 22PA01220