[Jurisprudence CIR] Respect des règles comptables dans la prise en compte des dotations aux amortissements

Cet article fut co-écrit par Mathilde Houzelle et Guillaume Goudard.

Dans un arrêt Biosynex du 19 octobre 2023, la Cour administrative d’appel de Nancy se prononce sur l’éligibilité de dotations aux amortissements dont la valorisation au titre du CIR par une société est contestée par l’administration fiscale. La Cour rejette leur éligibilité en jugeant qu’elles ne constituent pas des immobilisations pour lesquelles la société pouvait procéder à des dotations aux amortissements, ce qui est l’occasion de revenir sur leur définition et les critères à remplir pour entrer dans ce champ.

Les faits

La société requérante demande à être déchargée des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie à la suite d’un contrôle à l’issue duquel l’administration a exclu de la base de calcul de son CIR la dotation aux amortissements correspondant à l’utilisation de réactifs, de kits d’analyse, et aux frais relatifs à la facturation de prestations par une société sous-traitante.

À l’appui de sa requête, la société soutient que :

Les réactifs utilisés ainsi que les kits d’analyse sont des immobilisations générées en interne amortissables, ce sont des prototypes qui constituent des biens immobilisés au même titre que les instruments de manipulation nécessaires à la recherche et développement ;

Le coût du développement des prototypes par un prestataire extérieur participe à la création de l’immobilisation affectée aux travaux de recherche et développement et doit être inclus dans son prix de revient.

La notion de dotations aux amortissements

Le a) du II de l’article 244 quater B du code général des impôts (CGI) dispose que peuvent être valorisées au titre du CIR : « les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l’état neuf et affectées directement à la réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique, y compris la réalisation de prototypes ou d’installations pilotes».

Il est à noter qu’il n’est pas nécessaire pour une société ayant acquis un actif de prouver qu’elle réalise des travaux qui dépassent ceux du fournisseur afin de satisfaire à la condition de nouveauté (Conseil d’État, 27 janvier 2023, RAGT Semences, 460229).

Les biens financés par crédit-bail peuvent également être assimilés à des immobilisations amortissables et peuvent ainsi être valorisés au titre du crédit impôt recherche s’ils satisfont aux conditions prévues au a) du II de l’article 244 quater B du CGI (BOI-BIC-RICI-10-10-20-10, 60).

Les immobilisations constituent des éléments identifiables du patrimoine dont une entreprise attend des avantages économiques futurs.

Précisément, dans le cas des éléments corporels, le plan comptable général précise qu’une immobilisation corporelle est un actif physique détenu, pour être utilisé dans la production ou la fourniture de biens et de services, pour être loué à des tiers, ou à des fins de gestion interne et dont l’entreprise attend qu’il soit utilisé au-delà de l’exercice en cours (article 211-6 du plan comptable général (PCG)). Ainsi, un actif corporel ne se consomme pas au premier usage et se distingue des stocks, principalement détenus pour être vendus ou destinés à être entièrement consommés dans le processus de production ou de prestations de services (article 211-5 du PCG).

Ces actifs corporels, à l’exception des terrains et des œuvres d’art, sont amortis selon leur temps d’utilisation respectifs et ces amortissements font ensuite l’objet de dotations déductibles du résultat imposable.

Le jugement de la Cour

En l’espèce, la Cour juge que :

  • Pour les réactifs et les kits d’analyse : étant entièrement consommés lors de leur premier usage et n’étant pas utilisés de manière durable au cours du processus de recherche, ils ne constituent pas des actifs immobilisés pour lesquels la société peut procéder à une dotation aux amortissements. La Cour indique qu’il s’agirait davantage de frais de fonctionnement.
  • Pour les frais relatifs à la facturation de prestations par une société sous-traitante : la société requérante soutient que le dirigeant de la société sous-traitante a participé au développement des kits d’analyse. Dans la mesure où ces kits ne constituent pas des prototypes pour lesquels la société requérante pouvait procéder à des dotations aux amortissements, ces frais ne le sont pas davantage. Par ailleurs, la Cour souligne que la société sous-traitante ne dispose pas d’agrément CIR. Elle considère donc que les dépenses engagées n’entrent pas dans le champ de l’article 244 quater B CGI. Cette position de la Cour renvoie à la question du caractère amortissable ou non de la dépense de sous-traitance (qu’en aurait-il été si les kits avaient été amortis ?). À cet égard, il semble logique de considérer que les dépenses de sous-traitance, quand bien même amorties, doivent être catégorisées en sous-traitance et qu’un agrément est par conséquent nécessaire (cf.la RM Feltesse 12558 du 19/03/2013).

Par suite, la Cour rejette la requête de la société.

Analyse

L’administration fiscale est particulièrement attentive à la nature de l’actif valorisé. Il est ainsi primordial de respecter les règles comptables relatives à l’immobilisation et à l’amortissement des actifs et de valoriser au CIR au prorata du temps d’utilisation dévolu à la R&D toute immobilisation utilisée également à d’autres fins que des travaux de recherche éligibles.

Il est en outre essentiel d’être en mesure de produire des éléments justificatifs attestant que ces immobilisations ont bien été affectées directement à la réalisation d’opérations de recherche, et le cas échéant, dans quelle proportion. En cas de contentieux, le juge apprécie en effet strictement leur éligibilité, en exigeant qu’un lien direct entre les opérations de recherche et développement éligibles et les dotations aux amortissements valorisées soit démontré (CAA de TOULOUSE, 16 mars 2023, Hexis, 21TL01556).

Pour valoriser des dépenses en tant que dotations aux amortissements, il faut donc être attentif à la fois au respect des règles comptables, et à la loi fiscale.

Source : CAA de Nancy, 19 octobre 2023, Biosynex, 21NC00437