[Jurisprudence CIR] Éligibilité des salariés non titulaires d’un diplôme d’ingénieur et d’un projet pluriannuel

Cet article a été co-écrit par Odelia Olender et Mathilde Houzelle.

Dans cette affaire, la société requérante, qui exerce l’activité de conception et de commercialisation de solutions informatiques de stockage de données, demande la restitution du CIR remis en cause par l’administration fiscale à raison des dépenses de personnel liées à trois salariés non-ingénieurs de formation et aux frais engagés pour un projet pluriannuel sur l’année 2018.

Sur l’éligibilité des trois salariés non titulaires d’un diplôme d’ingénieur

M.B, M.A et M.C étaient respectivement titulaires d’une licence technologique et d’un BTS mention informatique industrielle.

Pour rappel, le fait de ne pas être titulaire d’un diplôme d’ingénieur n’est pas un obstacle à l’éligibilité au CIR. En effet, aux termes de l’article 49 septies G de l’annexe III du code général des impôts (CGI), sont assimilés aux ingénieurs les salariés qui, sans en posséder le diplôme, en ont acquis les qualifications au sein de leur entreprise.

La Cour procède donc à un examen au cas par cas pour chacun des salariés en question.

  • M.B

M.B exerçait la fonction d’ « ingénieur principal en charge des versions ». La société requérante fournit pour preuve son CV et sa fiche de poste.

La Cour juge que ces éléments ne sont pas suffisants pour établir qu’il a acquis des compétences permettant de l’assimiler à un ingénieur de recherche dans la mesure où les missions mentionnées dans la fiche de poste portent sur la création de composants logiciels et une activité de mise en production de logiciels.

  • M.A

M.A exerçait la fonction d’ « ingénieur personnel support global ». La société requérante fournit pour preuve son CV et sa fiche de poste.

La Cour juge que ces éléments ne sont pas suffisants pour établir qu’il a acquis des compétences l’assimilant à un ingénieur dans la mesure où les missions mentionnées dans la fiche de poste portent sur l’installation et le suivi des produits chez le client, les remontées et le suivi des dysfonctionnements auprès de l’équipe développement, la réalisation de conseils sur les aspects techniques et l’optimisation des systèmes d’exploitation des architectures clients et le développement d’applications pour tester les performances des produits de l’entreprise.

  • M.C

M.A la fonction de « développeur recherche » et était notamment chargé de développer des prototypes.

Le rapport d’activité produit par la société indique qu’il a fourni de nombreuses contributions sur des projets de recherche, dont certains d’une complexité importante et au cœur des défis technologiques relevés par la société. La Cour juge donc que les dépenses de personnel afférentes à M.C doivent être incluses dans la base de calcul du CIR de la société.

La Cour a donc jugé que les missions principalement axées sur des activités opérationnelles telles que la vérification des hypothèses et tests de logiciels, l’installation de produits ou le support technique aux clients ne s’apparentaient pas à celles d’un ingénieur de recherche.

Au contraire, les activités réalisées par M. C, en lien direct avec des projets de recherche et dont la complexité a été démontrée sont assimilables à celles d’un ingénieur (bien qu’il n’ait pas un poste d’ingénieur mais de développeur).

Sur l’éligibilité d’un projet pluriannuel

L’administration fiscale a également remis en cause l’éligibilité d’un projet pluriannuel sur 2018.

En l’espèce, il s’agissait d’un projet de recherche relatif aux systèmes de sécurité réseau déjà engagé en 2017.

L’administration a considéré que les travaux menés en 2018 s’inscrivaient dans la continuité de ceux réalisés en 2017 et n’ont consisté qu’à apporter des améliorations aux travaux réalisés en 2017.

La Cour relève toutefois que des prototypes ont été élaborés pour ce projet durant l’année 2018.

Par ailleurs, elle a mis en avant un rapport réalisé par l’expert du MESRI sur l’année 2017 dans lequel ce dernier soulignait que les travaux engagés en 2017 étaient « structurés de manière empirique en plusieurs phases comprenant la mise en œuvre et la validation de plusieurs prototypes explorant différentes hypothèses de mise en œuvre » et que le « travail mené dans ce projet relève d’une expertise poussée dans le domaine des systèmes répartis et est donc éligible au CIR ».

La Cour juge donc que le projet est bien éligible.

Si la loi fiscale prévoit que des salariés non-titulaires d’un diplôme d’ingénieur peuvent être valorisés en tant que tels, il faut toutefois être en mesure de démontrer la participation de ces salariés à des travaux de recherche éligibles en fournissant des éléments mis en cohérence avec leurs activités (fiche de poste, contrat de travail mentionnant l’encadrement, compte-rendu des travaux). Ainsi, la description des travaux menés a pesé davantage que l’intitulé du poste des salariés en litige dans cette affaire. Il convient donc en général d’apporter une explication de la contribution des personnes remises en cause aux projets R&D, qui reflète généralement mieux l’activité réelle de la personne que la fiche de poste qui peut être trop générique.

En ce qui concerne l’éligibilité du projet pluriannuel, le jugement de la CAA de Paris est étonnamment souple. Il est en général communément admis par l’administration et les juridictions que le caractère indissociable des travaux n’empêche pas d’examiner leur éligibilité séparément (Par exemple : CAA de Paris, 11 avril 2022, Altavia, 20PA2342CAA de Paris, 29 octobre 2015, Nagra France, 14PA00591).

Ainsi, les projets pluriannuels sont rarement considérés dans leur globalité. Il est donc surprenant de constater que la Cour a validé l’éligibilité d’un projet pluriannuel sur une année, en se fondant sur l’expertise réalisée sur les travaux de l’année précédente. Toutefois la présence de prototypes sur l’année expertisée et celle contrôlée a convaincu les juges.

Sources :