[Jurisprudence CIR] Les développeurs sont-ils des techniciens de recherche éligibles au CIR ?

Cet article a été co-écrit par Odelia Olender et Mathilde Houzelle.

La société Kaliop Group demande la restitution de son Crédit d’Impôt Recherche (CIR) pour 2018, contesté pour quatre salariés agissants en tant que techniciens de recherche. Plus précisément, ces salariés exercent des fonctions de développeurs.

Pour rappel, aux termes de l’article 244 quater B du code général des impôts (CGI), sont éligibles au CIR les dépenses de personnel liées aux techniciens de recherche directement et exclusivement affectés aux opérations de R&D valorisées.

L’article 49 septies G de l’annexe III au même code précise que les techniciens « sont les personnels travaillant en étroite collaboration avec les chercheurs, pour assurer le soutien technique indispensable aux travaux de recherche et de développement expérimental […] ».

Par conséquent, peuvent être qualifiés de techniciens de recherche les salariés qui travaillent sous la supervision de chercheurs et sur des opérations nécessaires aux travaux de recherche ou de développement expérimental éligibles au CIR.

La Cour examine l’éligibilité des salariés en question au cas par cas :

  • Mme B

Mme B est titulaire d’un master 2 en Marketing des technologies de l’information et de la communication.

Elle exerce le poste de cheffe de projet placée sous l’autorité du directeur de projet. La Cour juge, sur la base de la fiche de poste et du contrat de travail que ses fonctions de cheffe de projet ne sont pas directement liées aux opérations de R&D mais se concentrent sur la coordination de projet et les relations clients. Le descriptif du travail réalisé par cette personne fait état de gestion de projets.

Elle n’est donc pas éligible, selon les juges, au CIR en tant que technicienne de recherche.

  • M.G, M.D et M.E

Ces trois salariés exercent des fonctions de développeursplacés sous l’autorité du responsable de production.

La Cour reconnaît qu’à ce titre, leurs fonctions peuvent inclure des tâches de soutien technique pour la R&D, telles que le codage et la programmation, en assistance aux chercheurs.

Toutefois, ils peuvent également se voir confier des missions en dehors de toute phase de R&D expérimentale, telles que l’adaptation auprès des clients de l’entreprise de solutions techniques existantes.

Or la Cour juge que les fiches de poste et contrats de travail produits par la société sont rédigés en des termes trop généraux pour établir que des missions de participation à des travaux de R&D sous la supervision des chercheurs leur seraient effectivement confiées.

Ces derniers révèlent au contraire des missions que la Cour considère comme non éligibles :

–    Encadrement d’une équipe de développeurs ;

–    Développement technique d’un projet ;

–    Adaptation de solutions techniques existantes.

En résumé, la Cour rejette la demande de restitution du CIR pour ces salariés, car leur participation à des travaux de R&D expérimental n’a pas été démontrée de manière satisfaisante au regard de la diversité des missions possibles d’un développeur.

Enfin, il est intéressant de noter que les trois développeurs sont placés sous l’autorité du responsable de production. Cela soulève la question de savoir si leur travail est principalement lié à la production plutôt qu’à la recherche, ce qui pourrait également avoir influencé la décision de la Cour quant à leur éligibilité au CIR.

Cette affaire met en avant le caractère délicat de la valorisation des développeurs au titre du CIR.

La jurisprudence n’est en effet pas constante à ce sujet. La CAA de Paris a, par exemple, rendu un jugement récent dans lequel elle considère qu’un « développeur recherche » peut être assimilé à un ingénieur (CAA de PARIS, 06 mars 2024, Scality, 22PA03217). Au contraire, ici, la CAA de Toulouse rejette la qualification des développeurs en tant que techniciens de recherche.

Cette instabilité est liée à la diversité des missions qui peuvent être confiées à des développeurs.

Une grande importance doit être accordée aux documents justificatifs de leur participation réelle aux travaux de R&D éligibles.

La rédaction des fiches de postes est donc essentielle. L’utilisation de termes généraux tels que « technique » peut ne pas être suffisante pour établir leur participation à des opérations de R&D expérimentale, surtout lorsqu’ils sont associés à d’autres termes comme « adaptation ».

Cela met en évidence la nécessité pour les entreprises de fournir des descriptions détaillées des responsabilités et des tâches des salariés impliqués dans des activités de recherche et développement.

Les juges exigent des preuves tangibles de leur participation directe et exclusive à des opérations de R&D valorisées pour le CIR. Même une légère ambiguïté dans les documents fournis par l’entreprise peut entraîner des doutes quant à l’éligibilité des salariés.

CAA de TOULOUSE, 28 mars 2024, Kaliop Group, 22TL21029