Revirements sur les agréments CIR

Une question d’un député au Gouvernement a récemment mis la lumière sur une incohérence dans le paysage du crédit impôt recherche (CIR) et plus particulièrement sur l’octroi de l’agrément CIR.

M. Xavier Albertini (groupe Horizons et apparentés) a en effet remonté le problème rencontré par une société de sa circonscription qui bénéficiait de l’agrément CIR depuis au moins 2010 jusque 2020 inclus (vérification faite sur la liste disponible sur le site du Ministère en charge des agréments – MESRI), mais qui ne s’est pas vu renouvelée son agrément à deux reprises. La raison avancée par le MESRI est qu’elle « ne réalise pas de travaux de recherche mais de la prestation et de l’accompagnement ». Pour autant, M. Albertini faisait valoir que la division Creapharm Clinical Supplies de ce groupe gère les essais cliniques de nombreuses entreprises et participe donc largement au développement scientifique.

Le point a aussi été discuté à l’Assemblée Nationale lors de la séance de questions orales du 7 mars 2023. Mme Agnès Firmin Le Bodo (ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé), qui répondait à la question du député, a confirmé la tournure prise pour les décisions d’agrément : « L’agrément est délivré à la structure qui réalise la sous-traitance sur la base d’une expertise scientifique ; il atteste que la structure a le potentiel pour faire de la recherche et développement par ses propres moyens. ». On y apprend à cette occasion que les experts ont traité en 2022 2 780 demandes (pour combien d’agréments obtenus ? pas d’informations).

Qu’est-il arrivé pour que l’agrément qui ne semblait pas poser de problème par le passé, soit refusé à une société dont les activités innovantes semblent probantes ?

Revenons sur plusieurs évènements qui ont conduit à, on le verra, une incohérence dans la délivrance des agréments :

  1. 22/07/2020arrêt FNAMS du Conseil d’Etat.
    Dans cette décision, le Conseil d’Etat contredit l’administration pour qui il fallait que l’activité sous-traitée constitue une véritable opération de R&D nettement individualisée. La plus haute juridiction administrative affirme ainsi « Lorsqu’une entreprise confie à un organisme [agréé ou considéré comme public] l’exécution de prestations nécessaires à la réalisation d’opérations de recherche qu’elle mène, les dépenses correspondantes peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de son crédit d’impôt quand bien même les prestations sous-traitées, prises isolément, ne constitueraient pas des opérations de recherche»
    Le côté « nécessaire » des opérations sous-traitées pour mener à bien le projet R&D du déclarant est mis en avant.
  • C’est un changement important dans l’appréciation des activités sous-traitées éligibles, et dans la sécurisation des dépenses de sous-traitance des donneurs d’ordre.
  • C’est aussi potentiellement la porte ouverte à la valorisation de multiples activités sous-traitées « nécessaires », et donc à une forte augmentation des dépenses de sous-traitance, qui constituaient en 2020, 12,3 % des dépenses éligibles . C’est en tout cas ce qu’ont pu se dire les instances qui nous gouvernent comme on va le voir.
  1. 18/06/2021Publication du décret encadrant l’octroi de l’agrément
    Ce décret, qui apporte par ailleurs des précisions bienvenues, restreint aussi considérablement la délivrance de ces certifications : « « Sont jointes à la demande d’agrément les pièces justificatives attestant que dans l’année précédant sa demande l’organisme de recherche ou l’expert scientifique ou technique a mené sous sa responsabilité des opérations de recherche scientifique et technique, dont il a défini la démarche scientifique et réalisé les travaux avec ses propres moyens. »
    Si le gouvernement voulait limiter l’envolée de la sous-traitance, il n’aurait pas pu s’y prendre autrement (sauf à supprimer l’éligibilité de cette catégorie de dépenses).

Ces deux évènements ont conduit, on le voit à une profonde incohérence : les sociétés déclarantes peuvent retenir de manière sécurisée des dépenses de sous-traitance qui ne sont pas de véritables opérations de R&D mais qui leur sont nécessaires ; par contre, des sociétés qui ne feraient pas de R&D par leur propres moyens ne pourraient pas se faire agréer, quand bien même leurs activités pourraient être éligibles pour le donneur d’ordre puisque nécessaires à celui-ci.

Seules seraient donc éligibles les activités externalisées nécessaires, réalisées par des organismes ayant su démontrer qu’ils réalisaient des activités R&D à part entière.

Sur ce dernier point enfin, l’incertitude plane : la ministre ayant pris la parole pour répondre au député a précisé que les échanges avec la société Creapharm ont révélé « la nécessité de réserver l’agrément aux seules activités sous-traitées éligibles. Le ministère travaille sur ce point afin d’améliorer structurellement le dispositif, sans le complexifier pour autant. »

Le tour de vis n’est peut-être pas fini…

Les positions du MESRI sont à clarifier et le process d’agrément également : le site du MESRI mentionne plusieurs dates butoirs pour l’agrément (15 mars, 31 mars, 30 avril), et l’étude des agréments prend un temps extrêmement long, passé en moyenne de 6 à 8 mois selon les autorités, et qui peut prendre plus d’un an selon nos retours, ce qui fragilise les déclarations CIR des donneurs d’ordre qui attendent la réponse du MESRI pour déclarer ou non les factures de leur prestataire.